En arrivant aux États, la langue est devenue l’une de mes plus grandes préoccupations. Le besoin de parler anglais alors que tout ce que je pouvais bégayer étaient des mots écorchés qui me semblaient étrangers sur ma langue.
Il y avait la peur de perdre mon espagnol. La peur que ma sœur d’un an n’apprenne qu’à parler anglais. La peur de ne jamais pouvoir me connecter avec des amis ou des partenaires puisque nous ne parlions pas les mêmes langues. Et, au fil du temps, la peur que ma famille dépende maintenant de moi pour tout : parler avec la banque, commander de la nourriture au restaurant, signer le bail, et bien plus encore… des choses qu’un jeune de quatorze ans ne connaissait rien.
Parler anglais était le but… parler espagnol ne semblait pas être un avantage à l’époque.
Même maintenant, cinq ans plus tard, cela ne semble pas toujours être un avantage. L’anglais a toujours été le moyen de pouvoir tenir tête aux autres et d’être capable de « obtenir une place à la table ».
Maintenant, cependant, l’anglais et l’espagnol me semblent faire partie de moi.
Apprendre l’anglais et la signification de mots comme homesickness, safety, colored, et articulate signifiait que je voulais aussi m’accrocher à des mots comme orgullo, apapachar, consentir, et jarana. Chacune de ces expressions porte une connotation culturelle qui n’est pas nécessairement traduite par leur équivalent. Homesickness n’a pas juste un mot en espagnol pour se transformer, c’est un concept complètement lié à l’immigration. Colored n’est pas Coloreado. Et Apapachar n’est pas juste tenir, cela signifie étreindre quelqu’un avec votre âme. Ce sont des expressions que d’une certaine manière on ne peut ressentir que si on parle et comprend la culture de la langue à laquelle elles appartiennent.
Apprendre l’anglais signifiait qu’à la maison, j’avais commencé à utiliser des expressions comme cringe, annoying, damn, et body autonomy au grand désarroi de ma famille latino trop affectueuse. Cela signifiait que les premiers mots de ma sœur ont commencé à sortir en Spanglish. Des phrases comme « Cupito » (une combinaison de « cup » en anglais et du suffixe « ito/ita » à la fin d’un nom en espagnol qui est utilisé pour signifier l’objet comme « tout petit » ou « minuscule »), ou « quiero ver una movie » sont devenues partie de tous les jours.
Ces changements peuvent ne pas sembler importants pour certains, et ils se sont produits si graduellement qu’on a à peine remarqué jusqu’à ce que le Spanglish commence à poser problème pour nous. Ou, plutôt : ça est devenu un problème pour les non-anglophones chez nous.
Mes grands-parents et mon beau-père ne comprenaient pas ma sœur quand elle passait à un récit complet de sa journée en anglais, ou quand elle demandait quelque chose en anglais et ne savait pas comment le demander en espagnol puisque c’était lié à l’école.
Ma mère et moi avons essayé de traduire du mieux que nous pouvions, mais il y avait même des moments où nous ne comprenions pas ce dont ma sœur avait besoin, la laissant frustrée et agacée. Ces instances ont également laissé mon beau-père se sentir comme un étranger dans sa propre maison et frustré par son apprentissage lent de la langue.
Il a commencé à crier, exigeant qu’on ne parle que l’espagnol à la maison et se fâchant chaque fois que ma sœur ou moi parlions en anglais. Ça faisait mal, et c’était très difficile pour ma sœur d’arrêter complètement de parler anglais. Après tout, elle n’avait appris l’espagnol que de nous, et jusqu’à ce qu’elle demande, la traduction pour des mots comme spelling bee, homecoming dance, et rollie pollie n’existait pas dans son vocabulaire.
Plus que ça, je ne savais pas comment expliquer à mon beau-père que, comme Rosina Lippi-Green en parle dans son livre “English with an Accent,” la langue est vivante – à travers ses locuteurs. Elle grandit. Elle évolue. Elle s’adapte aux besoins de chaque locuteur. C’est à travers le changement géographique des locuteurs, le multilinguisme, les contextes culturels, la race et le genre que nous développons et donnons vie aux langues que nous parlons.
Nous parlons comme nous le faisons à cause de nos expériences et des identités que nous voulons que les autres reconnaissent en nous. Cela a conduit à la création de l’anglais Chicano, de l’anglais afro-américain, de l’anglais amérindien, du Spanglish et de nombreux autres dialectes. En plus des dialectes, dans le passé, c’est ainsi que de nouvelles langues entièrement se sont développées.
Dans son livre, Rosina Lippi-Green explique, « La langue est la reliure qui tient tout notre livre de vie ensemble : votre langue, et plus spécifiquement, votre dialecte, décide où votre page est placée. »
Pis la chose, c’est que… elle a pas tort. La langue, c’est plus qu’un outil de communication. Peu importe la forme (signée, écrite, ou parlée), la langue sert de présentation de soi et des groupes auxquels on appartient que ce soit en termes de genre, de race, d’ethnie, de milieu socioéconomique, et bien d’autres facteurs.
«Pour moi, c’a toujours été super important de continuer à parler espagnol et je parle toujours espagnol à la maison parce que je veux pas perdre ça, je pense que c’est une partie tellement importante de ma vie,» a expliqué Ivonne Olivas, une étudiante en journalisme et relations publiques à l’Université du Colorado à Boulder. «En tant que journaliste, pouvoir parler avec d’autres personnes qui ne parlent pas juste anglais, et représenter une communauté qui est pas beaucoup représentée, ça a été vraiment important. Et c’est aussi une grande partie de mon identité.»
On fait des choix sur la façon dont on parle pour s’associer aux groupes auxquels on se sent appartenir. Quand je rencontre quelqu’un qui parle aussi couramment l’espagnol et l’anglais, je vais tenir la plupart de la conversation en alternant entre les langues, parce que ça me semble plus naturel que de parler seulement espagnol ou seulement anglais.
La vérité, c’est qu’on prend mille décisions différentes sur notre ton, nos mots, notre jargon (peut-être qu’on dit hella au lieu de wicked ou pop au lieu de soda) pour présenter quelles identités nous sont pertinentes… et les défis auxquels on fait face.
J’imagine que vous l’avez entendu. Les commentaires sur « comment vous parlez bien anglais » après avoir expliqué que vous n’êtes pas né aux États-Unis, ou l’accusation quand la langue de votre pays d’origine n’est pas aussi courante que d’autres le croiraient. Noel Quiñones l’a expliqué mieux que je ne pourrais jamais le faire dans son poème “8 Confessions de ma Langue”. Il parle de la honte et de la culpabilité qui viennent avec le fait de ne pas parler « les langues qui ont traversé la mer. »
Et Jamila Lyiscott a parlé de la colère d’être moquée pour avoir alterné entre les langues dans son poème “3 Façons de Parler”. Elle partage son indignation d’être appelée articulée pour avoir parlé « mieux » que ce que d’autres s’attendaient – pour quelqu’un de votre race, genre, ou ethnie.
La discrimination linguistique existe depuis très longtemps, surtout dans un endroit comme les États-Unis où plus de 350 langues sont parlées.
Selon les mots du professeur de linguistique Chase Raymond : « Ce n’est pas ce qui est dit, mais la bouche d’où ça sort. »
Rosina Lippi-Green la définit comme « un biais envers une langue parlée abstraite, idéalisée, homogène qui est imposée et maintenue par les institutions du bloc dominant et qui nomme comme son modèle la langue écrite, mais qui est principalement tirée de la langue parlée de la classe moyenne supérieure. » Cette idée sert à annuler les différentes variations naturelles de la langue. Des formes de bilinguisme comme le Spanglish sont discriminées. Les dialectes et l’argot sont considérés comme « incorrects ».
Ce sont ce qu’on appelle les règles prescriptives qui diabolisent les variations de la langue. Dans le cas de l’anglais, beaucoup de gens ont une idée de l’anglais correct qui est connu sous le nom d’anglais standard américain. Un anglais sans accent, sans variation, sans argot, sans fautes grammaticales.
Selon les défenseurs de l’anglais standard américain, cette variété d’anglais est accessible à tous. Par conséquent, toute personne qui ne parle pas « l’anglais correct » est considérée comme paresseuse ou non éduquée. Même lorsque ces variantes sont causées par de multiples facteurs : âge, région géographique, statut socioéconomique, ethnicité, et bien d’autres. Trop souvent, les idées exprimées sous une forme « extérieure » à l’idéologie de la langue standard sont ignorées. L’idée est ignorée et le locuteur aussi.
Mais, l’anglais standard américain est inatteignable. Il n’existe pas.
Tout le monde a un accent. La langue de chacun est différente. Et nous ne parlons pas comme nous écrivons. C’est tout simplement pas possible, donc il n’y a pas de façon de parler « l’anglais correct ».
De cette manière, la langue fournit une excuse pratique pour discriminer contre les communautés marginalisées.
La langue est toujours en changement et en évolution. Les communautés font évoluer les langues pour répondre à leurs besoins. L’anglais n’avait même pas le mot tsunami jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de rapporter un phénomène naturel dans les nouvelles. Tsunami est à l’origine un mot japonais.
Le Chicano English est né dans des communautés qui ont perdu leur espagnol par peur lorsque les écoles publiques aux États-Unis critiquaient l’utilisation de l’espagnol, ostracisaient les hispanophones et mettaient en place des politiques «Anglais Seulement». Le Chicano English est une forme de résilience dont les gens ne sont même rarement conscients.
L’African American English a une histoire similaire. Né de la combinaison de l’anglais utilisé par les esclaves dans les plantations et de l’anglais de ceux des classes supérieures, ils ont créé une langue à partir d’une «histoire violée» comme l’a expliqué Lyiscott dans son propre poème.
Et le Native American English est né de ce qu’on appelle les «accents de réserve.» Après les pensionnats indiens aux États-Unis, il y avait toute une génération terrifiée à l’idée de parler leurs propres langues et les jeunes générations ont délibérément essayé de récupérer leur histoire et leur culture en mélangeant ces «langues perdues» avec l’anglais qu’ils ont grandi à parler.
«Je pense, tu sais, apprendre une langue te donne beaucoup de confiance. Ça te permet de communiquer avec beaucoup plus de gens dans le monde si tu partages cette langue. Ça te donne accès à des soins de santé adéquats, à tes droits légaux, à tes droits humains. Ça construit des relations,» a remarqué Rai Farrelly, professeur de linguistique à l’Université du Colorado à Boulder. «Mais, je suis aussi très critique et très conscient que l’anglais est aussi un peu une langue dominante, et il a le potentiel de déplacer des langues, de surpasser les langues maternelles des gens.»
Les variations de langues mentionnées ci-dessus sont nées comme des actes de résilience. Comme un refus d’effacer certaines identités/cultures tout en assimilant les valeurs et les parties de la culture dominante qui sont favorables et nécessaires. La langue est une négociation avec laquelle ces personnes de divers horizons ont dû composer.
J’ai dû accepter le fait que je ne serais jamais seulement Colombien ou seulement Américain désormais.
Je suis devenu un immigrant… avec tout ce que cela implique.
L’espagnol colombien est devenu mon héritage et la culture américaine, ma vie quotidienne.
Comme l’a expliqué Quiñones, il y a des stéréotypes qui viennent des deux extrémités du spectre de la discrimination linguistique. J’ai parlé des récits dominants aux États-Unis, mais nous avons aussi des stéréotypes de nos homologues dans nos pays d’origine. Dans le cas de la culture Latinx, ceux qui ne parlent pas espagnol sont considérés comme « pas assez Latino », pas « fidèles à leur Latinidad », un « enfant no sabo » et « blanchis à la chaux ».
« Dans la plupart des cas, je pense, dans des contextes où l’anglais est principalement utilisé, parfois j’ai l’impression que les gens, parce que je parle espagnol, m’utilisent comme la voix de tout le monde dans la communauté, et ils sont comme, oh, tu es Mexicain et tu parles espagnol, donc tu dois être d’accord avec ce que chaque autre Mexicain aux États-Unis pense. Ce n’est pas vrai », a remarqué Olivas. « Et puis j’ai eu une situation inverse quand je suis allé au Mexique visiter ma famille. Parce que je parlais anglais, ils me voyaient comme trop blanc, j’étais comme trop américanisé même si je parle aussi espagnol. C’est un numéro de jonglage. »
Et ces stéréotypes sont perpétués à travers des phénomènes comme la chiquitification où toutes les cultures et dialectes Latinx sont regroupés dans un paquet soigné et digeste pour le reste de la nation, tout comme nous le faisons avec des termes comme Hispanique, Asiatique et Insulaire du Pacifique, et Moyen-Oriental. Cela aide à oublier qu’il y a des individus au sein de ces groupes et différents aspects de leurs cultures et variétés de langues.
Dans ma famille, j’essaie de parler uniquement en espagnol, tout en encourageant ma sœur à lire des livres bilingues. Cela lui permet d’apprendre les deux langues en même temps, et comment traduire entre elles. Nous essayons aussi d’expliquer à ma mère et à mon beau-père des expressions en anglais qui peuvent leur faciliter la vie aux États-Unis.
Nous maintenons l’espagnol à la maison et l’anglais partout ailleurs. C’est nos racines, le dernier morceau que nous avons de chez nous quand nous ne savons pas si nous pourrons jamais y retourner.
Je sais que dans d’autres situations, les parents préfèrent que leurs enfants ne parlent que l’anglais. Ils pensent que cela va les aider à ne pas avoir d’accent et à ne pas être discriminés. Mais dans les mots du Professeur Farrelly : « Le multilinguisme, c’est quelque chose de magnifique, et à long terme, ces enfants auront bien plus de pouvoir et d’accès pour être multilingues plutôt que d’effacer leur langue d’origine. Beaucoup de gens pensent qu’on ne peut pas cognitivement acquérir ces multiples langues, mais on sait que ce n’est pas le cas. »
L’anglais sera acquis d’une manière ou d’une autre à cause de la manière dont les États ont structuré leur société. Les É.-U. pourraient ne pas avoir de langue officielle mais l’anglais est la langue la plus parlée. Elle peut surpasser d’autres langues, donc c’est à nous de nous accrocher aussi fort que possible dans la variété de langues qui nous semble la plus comme chez nous.
S’il y a quelque chose que j’ai appris sur les cultures multiethniques au cours des cinq dernières années, c’est que la plupart d’entre elles adoptent une approche plus stricte de l’éducation que la culture américaine. Peu importe d’où nous venons, nous avons une fierté profondément enracinée dans les valeurs culturelles.
J’ai souvent entendu des parents de minorités dire : « Cette terre est trop facile pour les enfants » ou « Cette terre offre trop de liberté » et pas de manière positive. Ainsi, tout commentaire sur la façon dont le monde ou les expériences de leurs enfants diffèrent des leurs ou comment ils peuvent se sentir désavantagés par rapport à leurs camarades de classe à plusieurs niveaux (y compris la langue, l’accent, l’apparence et les origines) peut sembler comme une attaque contre eux-mêmes et leurs valeurs et langues d’origine.
Alors, parler ouvertement aux parents peut sembler impossible ou même susciter de nombreux sentiments de culpabilité pour « ne pas valoriser les sacrifices qu’ils ont faits pour amener leurs enfants en Amérique » ou « être ingrat et irrespectueux ». Mais dire ce que vous ressentez n’est rien de tout cela. Et honorer les efforts et les sacrifices des parents n’est pas la même chose que de vivre uniquement pour eux.
Vos sentiments ne doivent pas rester un secret. Les affaires de la maison ne restent pas dans la maison. Vous avez le droit de parler des choses qui se passent à la maison avec d’autres. Ce sont vos expériences, c’est à vous de décider avec qui vous les partagez.
«Pour moi, j’ai essayé d’arrêter de me sentir coupable de ne pas pouvoir communiquer pleinement dans les deux langues, honnêtement. Je pense que c’est difficile,» a déclaré Olivas. «Alors je pense juste, laisser les gens penser ce qu’ils veulent de toi, que tu sois trop blanc ou trop mexicain ou peu importe. Je pense juste être soi-même et trouver une identité dont tu es fier, peu importe ce que tu décides que c’est.»
1. Laisse derrière toi la culpabilité et la honte, elles n’ont jamais été tiennes pour commencer.
Et puis essaie de comprendre d’où viennent les parents : la peur. La peur de perdre les liens de leurs enfants avec la maison. La peur que leurs enfants soient attaqués dans ce pays qu’ils doivent maintenant appeler chez eux.
2. Tu n’es pas seul et tu peux toujours chercher des ressources comme la thérapie bilingue qui pourrait t’être utile ou à ta famille (si ils sont prêts à le faire, sinon c’est correct aussi, fais ce qui t’aide).
3. Continue d’essayer de former ta propre langue, ta propre version de ce que vivre aux États-Unis représente pour toi. Tu as le droit de parler de la manière que tu veux.
4. Il y a des moyens de naviguer chaque problème, même celui-ci. Les gens apprendront à t’accepter, des gens qui sont différents de toi, des gens qui te ressemblent. Ils sont là, quelque part.
5. Voici une liste de ressources en santé mentale, ainsi que quelques livres/films/ et émissions de télévision que vous pourriez explorer pour vous réconforter :
La façon dont on parle, les choix qu’on fait, et les mots qu’on choisit pour raconter nos expériences déterminent la manière dont on les a vécues. Les langues façonnent notre manière de vivre. Si on se limite à une seule langue ou une seule variante, on perd une partie de nous-mêmes. Apprendre à naviguer ces expériences multilingues avec nos familles, nos camarades de classe et notre environnement nous permet d’embrasser pleinement qui on pourrait être et qui on veut devenir.
Parle dans la forme que tu choisis, parce que cette langue est pour toi et ton expérience unique.
Parle comme tu veux.
Comme t’as envie.
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